A l'entrée du temple, le Hô-Phap fut reçu par le
chef de la Mission, entouré du clergé local. Il fut conduit vers une estrade
d'honneur placée en retrait du porche et sur laquelle il se tenait debout
durant la cérémonie, armé de son bâton de Maréchal dont la vue effrayé les
esprits malfaisants et les éloigner des lieux sacrés.
La fumée des baguettes d'encens piquées dans des vases de cendres montait
comme un rideau devant le Globe Symbolique et les divinités.
Les religieux, drapés dans leurs toges rouges, bleues ou jaunes ; les
adeptes, revêtus de leurs robes blanches, s'agenouillaient sur les nattes en
ligne de file et occupaient la nef centrale et les nefs latérales du temple.
Par intervalles, des hérauts annonçaient à haute voix les diverses phases
de la cérémonie. "
La fête terminée, le Hô-Phap fut reconduit avec le même cérémonial à sa
maison de repos. Il eut alors une rapide interview avec la Dépêche : " Le
Hô-Phap Pham Công Tac est un fin lettré ; il parle et écrit admirablement le
français. Il lisait la Dépêche quand nous fûmes introduit dans le salon par le
chef du diocèse. Immédiatement, il se leva, nous tendit la main comme un
gentleman et, le sourire aux lèvres, nous montra un fauteuil.
Redoutant le supplice d'une longue interview, il commença par nous faire
savoir qu'il était un fidèle lecteur de notre journal et qu'il s'intéressait
particulièrement à son édition cambodgienne parce qu'il avait en terre khmère
plus de quarante mille de ses coreligionnaires.
Pour lui, le Caodaïsme est une religion qui puise sa force dans la concorde
et la paix sociales. La bienveillante hospitalité que les caodaïstes annamites
ont trouvée au Cambodge le touchait profondément. Il souhaitait de tout cœur que
ses compatriotes sussent, à cet égard, témoigner leur profonde gratitude
vis-à-vis des autorités locales en continuant à travailler, ici comme ailleurs,
dans le respect des lois et coutumes du pays.
Il manifesta cependant son étonnement de voir que des ordres, mal
interprétés sans doute, aient été donnés, à l'occasion de ces fêtes, afin
d'écarter les sujets de S. M. Monivong des réjouissances populaires données
dans l'enceinte du temple caodaïste...
... Mgr Thuong Chu Thanh, chef de la Mission étrangère, en résidence à
Phnom-Penh, prit le premier la parole.
Il annonça d'abord le décès de Mme Lâm Ngoc Thanh, une grande dignitaire du
Bouddhisme rénové, qui venait de s'éteindre à Vung-liêm et demanda à
l'assistance une minute de recueillement.
Il fit ensuite l'éloge des fondateurs du Caodaïsme en Cochinchine en
insistant tout particulièrement sur les mérites de feu le Pape Lê Van Trung et
de cet autre dignitaire qu'était le regretté Cao Quynh Cu.
Puis, après avoir fait l'historique de la nouvelle religion au Cambodge,
l'orateur informa l'assistance que la cérémonie de l'inauguration du temple de
Phnom-Penh coïncidait avec l'anniversaire de la mort de Victor Hugo, le chef
spirituel de la Mission étrangère du Caodaïsme.
Trois autres discours prononcés en cantonais, en triêu-châu et en
cambodgien, reproduisaient à peu près les termes de l'allocution de M. Thuong
Chu Thanh.
... L'après-midi, à 16 h. 30, eut lieu dans l'enceinte du Monastère de la
procession des personnages divinisés.
Précédé d'une licorne et suivi d'un dragon, le cortège groupait dans
l'ordre le char du Bouddha Di-Lac, l'idole au large sourire, impassible en son
bonheur nirvanien, l'autel du Pape Lê Van Trung, le portrait de Victor Hugo, la
statue de Jeanne d'Arc, le portrait de Cao Quynh Cu, celui de Sun Yat Sen, le
fondateur de la République chinoise, et, enfin, le grand char de la Montagne
sacrée sur laquelle trônait le grand Sage Ly Thai Bach ayant à sa droite la
déesse Quan-Âm et à sa gauche le guerrier Quan-Công.
Au pied de cette montagne, feu le Pape Lê Van Trung bénissait la foule.
Le cortège, précédé, accompagné et suivi d'orchestres bruyants, fit trois
fois le tour du temple en passant devant la tribune où avaient pris place le
Hô-Phap, les personnages de sa suite et les dignitaires de la religion.
Dans une partie de cette tribune, nous remarquâmes de nombreuses femmes
chinoises nouvellement converties et drapée de manteaux blancs comme les
Annamites, avec les attributs et les insignes de leur grade. "
En France, le Fraterniste, au Cambodge, la Vérité ( 20-10-37 ) publièrent
cette impression d'ensemble:
" Les illustrations des journaux, les clichés que j'ai sous les yeux,
montrent l'éclat inaccoutumé des fêtes qui eurent lieu sous la présidence du
Supérieur. Des milliers d'adeptes étaient accourus de toutes parts : quinze,
vingt, vingt-cinq mille ? Il est difficile d'apprécier de telles foules
asiatiques. Des discours ont été prononcés et radiodiffusés : Par "
Charles ", chef de la Mission étrangère ; par " François ",
cheville ouvrière du mouvement. Ces discours reflètent un certain nombre
d'idées qui me paraissent intéressantes à noter.
Le patronage de l'Esprit Victor Hugo suffirait à souligner le caractère
éminemment spirite du Caodaïsme dont le Supérieur actuel fut chef de l'école
des Médiums à Tây-ninh ( Cochinchine ).
L'alliance spirituelle des religions de l'Orient et des religions de
l'Occident s'y affirme à chaque part, à chaque instant, puisque les pagodes
caodaïstes sont ouvertes à la vénération du Christ, du Bouddha, de Lao-Tseu, de
Confucius, de Mahomet, et de tous les Messagers de Dieu sur la terre, qu'ils
soient spirites ( Victor Hugo, Camille Flammarion ) ou bienfaiteurs de
l'humanité.
A l'heure où certains s'emploient à coller sur toutes choses des étiquettes
pour diviser les hommes et semer les haines, il paraît utile d'encourager ce
mouvement de réconciliation, d'union, d'universalité. A l'heure où certains
reprennent les formules exclusives et les anathèmes d'antan : " Vous ne
pouvez être sauvés qu'ici ", il semble bon de répéter, même aux sourds,
que c'en est à jamais fini avec ces pitoyables jeus d'étiquettes : Ce qui
importe seul, ce ne sont pas les credos, mais les actes. Allan Kardec l'a
lumineusement exprimé : Hors la charité, pas de salut.
L'esprit pacifique et pacifiste du Caodaïsme mérite également d'être
approuvé. Les disciples de Cao-Dài ( l'Être Suprême ) sont hostiles aux
distinctions de peuples, de races, de religions, de couleurs, et veulent une
réconciliation des gouvernements et la fin des guerres, lesquelles sont
toujours déclarées par les gouvernements. Face à l'Occident, les caodaïstes
crient : Nous sommes pour la paix. Fraternité des hommes, amitié des peuples,
collaboration des races. Nous voilà loin de la politique barbare des États
totalitaires, de la peste noire, brune ou rouge, et des aventuriers soudoyés
qui, en chaque pays, cherchent à singer les nouveaux Badinguet.
Admirable synthèse spiritualiste on le voit, où même l'incroyant trouve son
pain spirituel, puisqu'il peut, dans la pagode caodaïste, demander les règles
de conduite au philosophe Confucius ou au sage Lao-Tseu. A personne, en vérité,
le temple de Cao-Dài ne refuse ses trésors spirituels. Que nous sommes loin de
nos colleurs d'étiquettes, de nos petites chapelles, de nos petits clans de
préfectures et de sous-préfectures attardées, mortes poussières. "
L'horaire permet de se rendre compte de l'importance de ces trois jours de
fêtes :
Programme du 21 mai 1937.
Matin :
5 h. 15 : Rassemblement des dignitaires et adeptes au temple.
5 h. 30 : Réception de Sa Sainteté Hô-Phap dans le temple.
6 h. 00 : Grande cérémonie rituelle et sanctification du Globe Symbolique.
9 h. 00 : Réception de Sa Sainteté Hô-Phap sur l'esplanade des dignitaires
et présentation du Corps sacerdotal.
9 h. 30 : Chants et prières des enfants de chœur ;
Discours d'ouverture en annamite par Mgr Thuong Chu Thanh, Giao-Su, chef de
la Mission étrangère ;
Discours en chinois et cambodgien ;
11 h. 30 : Prières ( au micro ) pour souhaiter la concorde et la paix
mondiales.
12 h. 00 : Cérémonie rituelle et prières pour les morts.
Soir :
16 h. 00 : Rassemblement des dignitaires sur l'esplanade.
16 h. 30 : Procession du portrait de Victor Hugo autour du temple pour le
déposer ensuite sur l'esplanade " Bach-Vân ".
17 h. 30 : Cérémonie rituelle et prières des enfants de chœur ;
Conférences en cambodgien par Chanh-Tri-Su Pham Van Châu ;
Conférences en annamite par Giao-Su Huong Phung, Dao Cao Duc Trong,
Khai-Phap Tran Duy Nghia et.
Allocution en français par le chef de la Mission étrangère.
23 h. 00 : Grande cérémonie anniversaire de Victor Hugo, chef spirituel de
la Mission étrangère du Caodaïsme.
Programme du 22 mai.
Matin :
5 h. 00 : Cérémonie rituelle.
8 h. 00 : Prières pour le repos des morts et pour souhaiter la concorde et
la paix mondiales.
11h. 00 : Cérémonie rituelle.
Soir :
16 h. 00 : Rassemblement des Dignitaires sur l'esplanade.
16 h. 15 : Réception de Sa Sainteté Hô-Phap sur l'esplanade.
17 h. 00 : Réception des Autorités françaises et autochtones, des
représentants de la presse et des invités.
17 h. 15 : Prières par des enfants de chœur en l'honneur de la religion ;
Discours d'inauguration du temple caodaïste par le chef adjoint de la
Mission étrangère ( au micro ).
18 h. 00 : Visite du temple par les autorités et tous les assistants.
18 h. 15 : Signature au Livre d'Or.
18 h. 30 : Thé d'honneur.
20 h 00: Discours de Sa Sainteté Ho-Phap (Au Pham Cong Tac) (Au Micro);
Conférences religieuses par Mgr Thuong Chu Thanh ;
Autres conférences religieuses.
23 h. 00 : Cérémonie rituelle.
Programme du 23 mai.
Matin :
5 h. 00 : Cérémonie rituelle.
6 h. 00 : Rassemblement des Chars décorés, Tablettes votives, Dragons,
Licornes, Musique, etc... sur le boulevard Pierre Pasquier, en face du temple
caodaïste.
6 h. 45 : Départ du cortège et procession en ville.
11h. 00 : Cérémonie rituelle.
Soir :
16 h. 00 : Rassemblement des Dignitaires sur l'esplanade.
16 h. 30 : Attribution des prix aux chars décorés, dragons, licornes,
tablettes votives, musique.
17 h. 00 : Chants des enfants de chœur en l'honneur de la Religion, avec la
musique ; Cérémonie rituelle.
18 h. 00 : Conférences religieuses par divers dignitaires ; Discours de
fermeture par Tiêp-Thê Lê Thê Vinh.
22 h. 00 : Prières en chœur pour le repos des morts et pour souhaiter la
concorde et la paix mondiales.
23 h. 00 : Grande cérémonie du 15è jour du 4è mois de l'année Dinh-Suu.
M. Ch. Bellan, ancien résident de France au Cambodge, de Paris envoyait (
1-9-37 ) son impression générale :
" J'ai lu avec le plus grand intérêt les documents que vous m'avez
envoyés, concernant l'inauguration du temple caodaïste de Phnom-Penh. Je les ai
communiqués à quelques amis et personnalités s'intéressant à ce mouvement
tendant à l'unification des religions et à la fraternité universelle.
Au cours des temps, ces oppositions de religions diverses ont fait couler
des fleuves de sang, et il serait à souhaiter qu'une compréhension mutuelle
s'imposât pour le bonheur de l'humanité.
Les progrès de la science suppriment de plus en plus les distances, mais si
les peuples se connaissent un peu mieux qu'autrefois, il n'en est pas moins
vrai qu'ils sont souvent trompés par de mauvais bergers et qu'il subsiste,
hélas ! de ce fait, encore pas mal de malentendus entre eux.
Si le Caodaïsme se répandait, on pourrait espérer une ère de paix et de
tranquillité, sinon de bonheur, celui-ci n'étant pas de ce monde. C'est
pourquoi, chacun doit creuser son sillon en ce sens. Pour ma part, je suis
vraiment très heureux de savoir que les odieuses persécutions, dont les
caodaïstes avaient été les victimes, ont pris fin.
On ne pourrait donc, l'effort de chacun aidant, empêcher la diffusion d'une
doctrine qui pourrait, comme l'a prêché le Bouddha - ce n'est pas la haine,
mais l'amour qui unit les cœurs - faire régner le calme sur la surface de cette
terre, encore si troublée.
Mes bien fraternelles amitiés. "
Signé : Charles BELLAN.
SI L'ISLAM EST EXCLU DU CAODAISME
?
On a pu voir, à la fête d'inauguration du temple de Phnom-Penh que l'Islam,
sans être l'objet d'une vénération spéciale dans les milieux caodaïstes, est
loin d'être frappé d'ostracisme.
Il y aurait peut-être une faute à éloigner l'Islam du Caodaïsme :
1° A cause de la proximité d'un foyer musulman très actif : celui de l'Inde
( pour ne pas parler de celui de l'Insulinde ) ;
2° A cause de l'importance du foyer musulman en Afrique : renaissance
religieuse des Oulémas en Algérie ; influence de la rénovation musulmane
d'Égypte sur l'Islam nord-africain ; réveil général du panislamisme dans le
monde ; progrès incessants de la religion de Mahomet en Afrique noire, etc...
L'Islam, dans les colonies françaises, ne comprend pas seulement les terres
d'Afrique du Nord, la Syrie, le Liban, mais s'étend sur une grande partie de
nos possessions d'outre-mer.
En effet, en Afrique du Sud, à Madagascar, aux Indes, à l'Indochine
d'outre-mer, aux Chams, à la religion musulmane.
C'est en Afrique noire que l'Islam est le plus répandu. Si à la Côte des
Somalis leur nombre n'est que de soixante-dix mille, aux Indes dix-huit mille,
en Indochine quatre-vingt mille, il est, en A.E.F., au Togo et au Cameroun, de
un million deux cent mille et, en A.O.F, de plus de six millions.
L'Islam dans nos colonies a donc un caractère africain. Il s'est répandu
soit par infiltration pacifiques, soit par expéditions violentes. L'histoire de
ses progrès et des résistances auxquelles il s'est heurté explique sa
répartition géographique.
Une des régions les plus importantes qui vont de l'Atlantique à l'ouest de
l'Ethiopie et des Déserts Sahari et Libyen au 10 ° degré de latitude nord. Il
englobe à l'ouest les bassins du Sénégal, de la Gambie, de la Haute-Volta, du
Moyen Niger et, au centre, du bassin du Lac Tchad.
J'avoue d'ailleurs que les conceptions exprimées ici sur l'Islam sont
plutôt le reflet de ma personnalité d'Algérien ( six ans de fraternité profonde
en terre musulmane : Sidi-Bel-Abbès, Tlemcen, Oran, Alger ) que le désir
calculé du Sacerdoce caodaïste, lequel, à l'origine de la nouvelle religion,
avait peu pensé au mahometisme, il faut bien le dire. Cette rallonge à la table
spirituelle est plutôt un souhait personnel qu'une conception mûrie par le
Supérieur et les Dignitaires caodaïstes. Ceci pour la vérité des choses et la
franchise des attitudes et des responsabilités.
A voir la " pouillerie musulmane " en Algérie, par exemple, on a
l'impression d'une religion finie, principalement si l'on songe à la splendeur
de la Civilisation arabe à une époque où l'Occident était encore plongé dans
les ténèbres et dans la boue. Mais il faut se rappeler que l'Islam est déjà en
soi une synthèse religieuse ( judaïsme, christianisme, zoroastrisme ) où l'on
vénère non pas seulement Mahomet, comme le croit l'ignorant, mais Moïse, Jésus,
Zoroastre, et les grands Prophètes, que le soufisme est essentiellement musulman
malgré les aspects occidentaux, modernes, universels, qu'il prend et sait
prendre à l'occasion, pour ne pas faire fi de cette puissance dynamique qui est
en lui. Non seulement les oulémas sont actuellement occupés à " travailler
" le levain islamique et à faire lever la pâte, mais d'innombrables cas
isolés prouvent une incroyable fermentation dans une religion que l'on peut
croire épuisée, porte, finie.
Voilà pourquoi, personnellement, j'aurais un certain déplaisir à voir le
Supérieur et le Sacerdoce caodaïste éloigner l'Islam de leur communauté
religieuse.
Je citerai le cas du Cheikh Ben Aliona(1) comme exemple des possibilités
spirituelles de l'Islam : Jusque vers quarante ans, cordonnier à Mostaganem, il
prend rang de Prophète de l'Islam, alors qu'il est seulement décédé en 1934.
Il fonda une confrérie mystique très fréquentée, branche évoluée de l'école
de soufisme Chadeliya-Darquaoua, une des plus élevées. Par le soufisme, il
connut l'ésotérisme ( doctrine secrète ) de l'Islam et, par ce dernier, la
tendance à la superreligion ( mosaïsme + zoroastrisme + christianisme +
mahométisme... ) qui sommeille dans le cœur de tout croyant musulman. Les
révélations successives se complètent, car toutes sont reliées par l'unité
d'inspiration surhumaine : " Les Prophètes, fusent-ils dix mille, dit
l'aphorisme soufi courant, ne sont qu'un seul, rayons multiples du même feu.
"
Sidi Ben Aliona a entendu tous les reproches subi toutes les critiques.
C'est l'histoire de tous les religieux, de tous les mouvements religieux. La
médiocrité et la vulgarité les assaillent et les encerclent de toutes parts. A
l'Islam fermé et figé dans son ésotérisme, le Cheikh a opposé un Islam ouvert,
en évolution, sollicitant l'avenir au lieu de gémir sur le passé. C'est vers
1912 qu'il a commencé sa mission d'Imam, c'est-à-dire de faqir ( pauvre ) à la
tariqa, voie mystique le menant vers Dieu, de chef, d'instructeur non différent
des Grands Saints du passé islamique : " Moi dans ma vallée, toi dans la
tienne ", dit-on en arabe.
La perfection peut être atteinte selon les tempéraments, les races, les
climats, par le Yogisme, le Taoïsme, les exercices spirituels de saint Ignace
de Loyola, par ceux des tarouq soufies musulmanes. Les formes varient ;
l'Esprit est le même, toujours.
Les doctrines de Ben Aliona ? Unité de Dieu ( le monde temporel n'est qu'un
ensemble de voiles, " barzakh ", nous cachant le monde réel :
l'Infini... ) Univers émané de Dieu ( à l'inverse du Coran créationniste pour
la masse des foqara, croyants ordinaires, le sirr ( caché ) est réservé à
certains disciples capables de saisir le bathen ( sens occulte ) ; émanatisme
s'accordant avec l'impertinentisme ( qui pourrait connaître son proprium,
connaîtrait Dieu ; qui le scrute avec attention, s'approche de Dieu ) ; doctrine
de l'immanence n'excluant pas la transcendance ; ichraq ou illumination dont se
réclament tous les grands hommes musulmans : Avicenne, Ghazali ou Ibn Thofaîl,
mais sans démarcation nette entre l'affectivité et l'intellectualisme, ces
compartiments psychologiques artificiels des Universités d'Occident, dont avec
le qelb aqel ( cœur intellectuel ), etc., etc...
Le Cheikh de Mostaganem, mystique moderne, tenta d'orienter par la
sublimation spirituelle, une partie de l'Islam vers plus de lumière et de
fraternité réelle ( Zohar des Juifs, Ennéades de Plotin, etc. ) : La baraka (
bénédiction du cheikh ), la selsela ( chaîne de transmission des facultés
mystiques chez les marabouts ), les adjazat ( diplômes décernés aux foqara
instruits ) ne sont que des jalons, relativement faciles à poser, sur la Voie
de l'Illumination où l'on doit d'abord arriver à la " Réalisation de la
Présence ". C'est parce que le cordonnier alla plus loin et plus haut
qu'on le traita d'hypnotiseur et de professeur de sciences occultes,
l'illumination substantiellement la même, se différenciant pourtant avec chaque
mystique. Ben Aliona utilisait le ferq et le djam, concentration et expansion,
deux moments du rythme psychologique des soufis, la répétition du zikr sur le
chapelet, dans la fameuse klelona, cellule paisible, demi-obscure, propre aux
intuitions et aux visions, aux images visuelles et auditives, voix et lumières
ineffables.
En ses zaonias de Mostaganem, Saint-Eugène, Alger, couvents-hôtelleries
gratuits, Ben Aliona vivait pauvrement, n'exigeant du visiteur qu'un travail,
une œuvre utile dans le monastère, à son passage, pour prix de son hospitalité.
Il prêchait la fraternité religieuse, était très estimé de prêtres catholiques,
éteignit des rekba (vengeances de familles en Kabylie ). Panislamique
spirituel, l'alaonisme recommande l'accord avec les Européens : De l'Égypte au
Maroc, Ben Aliona a touché cent cinquante mille, peut-être deux cent mille
croyants seulement. Mais dans une région où l'Islam est signalé comme particulièrement
stagnant, cette évolution, même limitée, constitue un exemple significatif.
D'autres, en effet, sur des bases plus puissantes, reprendront quelque jour
œuvre et, comme le Mystique de Mostaganem, développeront la coopération entre
musulmans et chrétiens, la cordialité même entre mahométans et juifs ( remplis
d'aversion et de méfiance en pays d'Islam ). Ben Aliona, les regards tournés
vers les Ahmadiya de l'Inde, réprouvait la Djehad ou guerre sainte. Comme eux,
il admettait une interprétation plus intelligente et plus fraternelle du Coran,
désirant comme les Dahaia une religion en progrès incessant, se débarrassant de
ses articles périmés, de ses scories du passé. Et cela, malgré la misère
physiologique des masses indigènes exploitées par les roumi.
Le Cheikh était presque végétarien, ne consentant jamais qu'au sacrifice
des animaux les moins conscients. Il étendait sa charité à toutes les
créatures. Quelque chose en lui d'un saint François d'Assise. Il a initié des
chrétiens ( une vingtaine en France et en Algérie ), sans les contraindre à
adhérer formellement à l'Islam, suivant en ceci l'exemple d'un des plus grands
soufis du monde : Khodja Hassan Nizami, pir ou mourchid des Chicchtiya de
l'Inde, qui compte des disciples brahmanistes.
Constatation universelle : Arrivés à une certaine hauteur spirituelle, les
religieux exceptionnels sont au-dessus des religions du vulgaire, et
reconnaissent comme " Amis de Dieu " tous les hommes sincères et de
bonne volonté et fraternisent avec eux : Kherreddin, de Tunis, a initié des
chrétiens tunisiens. D'autres soufis ont fait de même, notamment Inayat Khan.
En somme, Ben Aliona fut l'éclosion très rare d'un saint musulman à notre
époque même, un des derniers grands maîtres sofis : Sa mission fut de tolérence
totale, de paix, de charité, d'aimante et dévouée fraternité. Il a tenté de
faire revivre l'époque des mystiques islamiques des siècles brillants, mais en
se tenant plus près des masses, en se montrant plus familier et plus souple. Il
a prêché la conciliation des contraires, dit encore le Dr Probst-Biraben qui
l'a connu d'assez près et a rencontré quantité de ses amis et disciples. Il a
réussi dans un milieu restreint, ce qui suffit à prouver que la ferveur du
vieil Islam n'est pas morte et qu'elle peut s'exercer encore dans des voies
plus larges, malgré les déplorables abus et excès d'un colonialisme
matérialiste et exaspérant.
Le cordonnier humble et sublime de Mostaganem a confié à ses disciples
l'esclavage de l'argent, du luxe, des honneurs, de l'orgue et de la haine. Par
Bergson, pour l'Ahmadiya, pour Bahaia, a oublié les forces ignorées, les
possibilités d'évolution et de progrès d'un islam que certains acteurs décédés
dans ce pays musulman pauvre.
Le Caodaïsme a-t-il le droit de rejeter l'Islam de sa " fraternité
" devant de tels exemples ?
SUITE A NOTRE DOULEUR
D'une étude faite par notre Frère Lê Van Bay, nous détachons quelques
renseignements sur les dissidents, les frères ennemis, hélas ! Le Phu Chiêu,
n'ayant pas triomphé de l'épreuve qui lui fut imposée, l'esprit se nommant
Cao-Dài demanda aux médiums d'aller trouver M. Lê Van Trung, membre du Conseil
du Gouvernement, lequel reçut le titre de " Cardinal de la Branche Taoïste
". Le Caodaïsme était né. Mais le Phu Chiêu, d'abord à l'écart, fonda à
Cân-tho une secte se réclamant de Cao-Dài et du spiritisme, érigea un temple où
il eut plusieurs centaines d'adeptes. Le Phu Chiêu mourut en 1932 et depuis
cette association religieuse végète.
Après que Lê Van Trung eut crée un temple caodaïste à Cho-lon, les adeptes
de Sài-gon obtinrent la fondation d'un oratoire à Câu-kho. Mais, au bout d'un
certain temps, les caodaïstes de Câu-kho se détachèrent du Saint-Siège et
formèrent la deuxième secte dissidente. Quelques efforts de propagande au
centre de l'Annam ( 1930-32 ) avec le concours du Cardinal de la Branche
Confucéenne. L'importance de ces dissidents se réduit à quelques cents à
Sài-gon et autant en Annam.
En 1934, Câu-kho devint le centre d'une autre secte qui peut être appelée
en français l' " Union de toutes les sectes caodaïstes ". Elle est
présidée par M. Nguyên Phan Long, ex-conseiller colonial, actuellement
rédacteur à la Dépêche de Sàigon. Le Saint-Siège de Tây-ninh semble reprocher à
ces dissidents leur opportunisme politique et a refusé pour cela tout
rapprochement.
En 1930, une autre secte : " la Religion de la Vraie Vérité " (
sic ) s'est créée à My-tho avec M. Nguyên Van Ca, délégué administratif hors
classe, qui se fit appeler " Cardinal Législatif ", après avoir
exercé au Saint-Siège de Tây-ninh, de 1927 à 1930, les fonctions de Chef des
Dignitaires et d'Administrateur de la Religion en Cochinchine. En 1930, il
s'installa à My-tho, dans le temple déjà construit sur sa propriété, qu'il
baptisa de " Saint-Siège du Milieu ". Appuyé par M. Krautheimer,
alors Gouverneur de la Cochinchine, il se consacra à la propagande et fit de
nombreux adeptes, surtout dans l'ouest de la Cochinchine. Grâce à son frère
plus jeune ( bien en cour chez M. Krautheimer ), adversaire acharné de Lê Van
Trung, le " Milieu " recruta.
J'ai été personnellement en relations fraternelles avec M. Nguyên Van Ca, à
une époque où je ne voulais pour rien au monde me mêler à ces discussions,
sachant trop bien que tous ces schismes, toutes ces vanités et ces glorioles,
toute cette poussière de sectes et de sous-sectes, valaient au Caodaïsme, et
non sans raison ! le plus profond mépris des autorités, trop portées à ne voir
dans ce débordement insensé d'orgueil que la manifestation certaine d'un
ramassis de charlatans ou d'ambitieux. J'ignorais alors que la rivalité entre
Lê Van Trung et Nguyên Van Ca remontait assez loin dans le temps :
" Vers 1895, Nguyên Van Ca faisait sa cinquième année au collège
d'Adran, à Sài-gon, tandis que Lê Van Trung, moins âgé que Ca de cinq ans,
était à la troisième année au collège Chasseloup-Laubat, également à Sài-gon.
" Le collège d'Adran, dirigé par les Frères chrétiens et subventionné
par le Gouvernement, devait être supprimé. On fit subir un examen commun aux
élèves des quatrième et cinquième années du collège d'Adran et à ceux de la
troisième année du collège Chasseloup-Laubat ( qui n'était fondé que depuis
trois ans ).
(1) Le Lotus Bleu. Paris 39, p. 89-106, Docteur Probst-Biraben.
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