Vietnam spirituel. Pour vous parler de mon récent voyage au
Vietnam, j’ai décidé d’aborder mes récits sous l’angle de la religion. Cela
peut paraître étrange de décrire un pays officiellement communiste par son
ancrage spirituel alors que 73% de la population actuelle se dit «sans
religion».
Le Vietnam est une longue
côte sur la mer de Chine, au carrefour d’une multitude de peuples, religions et
croyances animistes. Les commerçants indiens ont amené l’hindouisme puis
l’islam.
Le Bouddhisme Theravada est arrivé du sud-ouest par le Siam. Arrivé
par le nord, le Bouddhisme Mahayana se confond à une longue tradition de
Taoïsme et de Confucianisme, héritage d’un millénaire de domination chinoise.
Le Catholicisme est arrivé avec les premiers Européens au XVème siècle.
Dans ce premier texte, je
vais vous parler d’une religion née au début du XXème siècle dans le Sud du
Vietnam : le Caodaïsme, sorte de synthèse de toutes les religions.
Caodaïsme, religion
humaniste
J’avais entendu parler d’une
religion étrange appelée Caodaïsme, dont le Saint-Siège se trouve à 80 kilomètres au nord de la
métropole qu’on appelait autrefois Saigon. Je me suis documenté sur eux et très
vite j’ai compris qu’il me fallait aller passer quelques jours dans la petite
ville de Tây Ninh pour voir et comprendre de mes yeux cette religion qui vénère
à la fois Bouddha et Jésus, et qui place Victor Hugo, Louis Pasteur et Winston
Churchill dans le Panthéon de ses Saints.
J’ai trouvé intéressant qu’une
religion vénère des humanistes.
On reconnaît les églises
caodaïstes à leur architecture avec deux tours frontales comme des clochers,
l’œil de Cai Dai est représenté sur le devant et le style des tours arrières
ainsi rappelle celui des mosquées. La façade est de couleur jaune-orange avec
des motifs en rouge et en bleu. C’est Bouddha qui est installé à la place la
plus haute sur la façade avant. Toutes les églises du Caodaïsme suivent
rigoureusement la même architecture.
Tây Ninh, le Saint-Siège
Il faut moins de trois heures
pour quitter la tumultueuse ville de Saigon (rebaptisée aujourd’hui Ho Chi
Minh-ville) et rejoindre la très tranquille Tây Ninh. Le contraste est
saisissant. On passe d’une overdose de bruit, de circulation et de pollution à
une petite ville qui semble construite dans un jardin. Je pensais commencer par
boire rapidement un café, mais je vais rester plus d’une heure sur la terrasse.
Certains sièges ont été remplacés par des hamacs. Presque personne ne parle une
langue étrangère, on nous sourit au passage.
Le Saint-Siège du Caodaïsme
occupe un terrain de plusieurs hectares au centre de la bourgade. La Cathédrale
longue de 107 mètres
ressemble à une grande église romane très colorée. Tout autours, des champs et
des petites maisons permettent à la congrégation de vivre en quasi autarcie.
Des gardiens en habits Caodaï surveillent, ils portent des brassards aux
couleurs de l’église, l’un d’eux m’invite à m’asseoir avec lui et m’offre un
thé.
Fondation
Le Caodaïsme a été fondé dans le
premier quart du XXème siècle dans le sud du Vietnam qui s’appelait alors la
Cochinchine, partie de l’Indochine dominée par les colonisateurs français. Le
Caodaïsme est une religion faisant une synthèse entre les trois grandes
religions du Vietnam que sont le Confucianisme, le Taoïsme et le Bouddhisme.
(Le terme est « religion syncrétiste »).
Voulue comme étant un pont
unifiant toutes les religions du monde, il s’inspire largement du
Christianisme, reconnaît aussi l’Islam et intègre le Culte des Ancêtres dans sa
philosophie.
Un fonctionnaire vietnamien du
nom de Ngô Van Chiêu, au service de l’administration française, passionné par
les religions, commence à pratiquer le spiritisme avec ses collègues. Un
esprit, qui dans un premier temps refuse de donner sa véritable identité, lui
ordonne de créer une nouvelle religion. Nous sommes en 1921, Ngô Van Chiêu a 43
ans. Le petit groupe s’intéresse aussi à la franc-maçonnerie.
Le soir du 24 décembre 1925,
comme à son habitude, le groupe de fonctionnaires fait tourner les tables.
L’esprit se révèle sous le nom de Cao Daï (l’Être Suprême). Le Caodaïsme est
né. L’Être Suprême sera désormais représenté par un œil ouvert sur un globe qui
représente la terre. Depuis ce jour, « l’œil de Dieu » figure sur
tous les autels de la jeune religion.
Ngô Van Chiêu ne veut pas devenir
le premier Pape du Caodaïsme, il sera appelé « L’Ainé des
Caodaïstes ». C’est Lê Van Trung, que les séances de spiritisme à fait
renoncer à son athéisme, qui va devenir le premier Pape.
Philosophie
Le but de toutes les religions
est l’amélioration de l’être humain, seule la pratique change en fonction des
différences de culture et d’environnement. La synthèse voulue par le Caodaïsme
veut reprendre les bases philosophiques des religions anciennes.
Du Confucianisme on retient
l’importance du comportement moral, de la justice qui permet une vie sociale
sans conflits.
Du Taoïsme, la recherche de la
plénitude et de la sérénité par le détachement du monde et par l’humilité.
Du Bouddhisme, le besoin de
mettre un terme à la souffrance par la compassion et la tolérance.
Du Christianisme, l’amour et la
charité.
Et enfin du Culte des Ancêtres,
cher aux peuples de tradition chinoise, le respect de la famille, la communion
entre les vivants et les morts, la continuité.
Dans leur philosophie, les
Caodaïstes placent les 5 règles morales du Bouddhisme (qui font également
partie des 10 commandements chrétiens) : – ne pas tuer, ne pas voler, ne
pas commettre d’impureté, ne pas mentir, ne pas boire d’alcool.
Ils placent le respect de la vie
comme une priorité. Le respect des animaux se concrétise par un végétarianisme
strict.
Le Caodaïsme enseigne le respect
des arbres, « Nul n’ignore les services que nous rendent les arbres de
toutes espèces. Bienfaiteurs silencieux de l’homme, ne blâmant ni son ingratitude,
ni sa cruauté, ils abritent indifféremment de leur ombrage tous veux qui
viennent s’asseoir à leur pied, le voyageur fatigué aussi bien que le bûcheron
méchant. Les plantes constituent une véritable pharmacie naturelle où nous
puisons toutes sortes de panacées propres à guérir nos maux. » (Joseph
Nguyen Huy Lay, voir bibliographie)
Religion de synthèse
A l’entrée du terrain de
plusieurs hectares qui forme le Saint-Siège de la religion à Tây Ninh, on peut
lire : « Dai Dao Ky Pho Dô », qui veut dire « grande
religion de la troisième révélation ».
La première vague de révélation
correspond à Moïse recevant les dix commandements, et à tous les Prophètes de
la Bible qui ont conversé avec Dieu. En Asie, à l’Empereur mythologique Fuxi
qui est à la base de la culture chinoise est le premier être à avoir reçu la
révélation divine.
La deuxième vague de révélations
comprend le Bouddha Sakyamuni (qui est à l’origine du Bouddhisme), Lao Tseu
(qui a fondé le Taoïsme), Confucius (pour le Confucianisme), Jésus-Christ (pour
le Christianisme), Mahomet (pour l’Islam).
Et la troisième révélation au
groupe de fonctionnaire de Cochinchine qui a fondé le Caodaïsme sur la base des
religions du passé. Cette troisième révélation, accomplie par spiritisme est
censée être le dernier grand rassemblement avant le Jugement Dernier. C’est
pour cette raison que l’on qualifie souvent le Caodaïsme de religion
« millénariste ».
« Le Caodaïsme se donne
la mission de concilier et d’unir les différentes religions dans le même acte
d’adoration et d’amour à l’égard de l’Être Suprême, du « Cao Daï ».
La foi commune sauvera l’humanité de ses conflits et de ses discordes, dans la
conciliation, et lui donnera l’ordre et la paix, dans
l’union. » (Pierre Bernardini, voir bibliographie)
Dans les temples, au-dessus du
grand autel sont placés par ordre alphabétique : Bouddha, Confucius,
Jésus-Christ et Lao Tseu. Ils sont entourés par les Saints et les Génies.
Parmi les Saints, se
trouvent Nguyen Binh Kiem, poète vietnamien célèbre pour
avoir rédigé une série de révélation sur l’avenir, on le compare à
Nostradamus. Sun Yat-sen, le fondateur de la République
de Chine, et Victor Hugo écrivain humaniste
français. Une fresque représentant ces trois Saints se trouve dans l’entrée de
tous les temples Caodaïstes avec la mention : « Dieu et Humanité,
Amour et Justice » (écrit en français, chinois et vietnamien ancien).
Notons au passage, que
l’organisation sacerdotale est très structurée. Le Giao Tông (Pape) est
le chef de la religion. Deux collèges, l’un masculin et l’autre féminin
assistent et administrent la religion selon une hiérarchie bien précise. Les
dignitaires du collège féminin possèdent, à grade égal, les mêmes pouvoirs que
leurs homologues masculins. Le grade féminin le plus élevé est celui de
Cardinale.
Jeanne d’Arc figure dans le
panthéon des Saints du Caodaïsme, elle y représente avant tout l’égalité
hommes-femmes.
Tây Ninh
J’ai passé deux jours dans la
petite ville de Tây Ninh. Le territoire Caodaï est comme une ville dans la
ville, entouré de murs et gardé par des fidèles qui portent des brassards.
L’entrée dans la Cathédrale est possible mais se fait sous l’escorte d’un
garde. Les femmes entrent par la gauche et les hommes par la droite. Seuls les
religieux peuvent utiliser la porte principale. Il faut se déchausser à vingt
mètres de l’entrée. A l’intérieur, on ne peut marcher que sur les côtés, les
gardes montrent le carrelage sur lequel nos pieds (impurs) peuvent marcher et
ne cachent pas leur impatience quand on avance lentement, mais jamais ils ne
haussent la voix. A l’endroit le plus sacré se trouve une gigantesque sphère
bleue sur laquelle est dessinée un œil, l’œil de Cao Daï. Des statues de
Bouddha, Confucius, Jésus et Lao Tseu dominent la nef.
Les cultes sont célébrés quatre
fois par jour à minuit, six heures du matin, midi et six heures du soir. Les
visiteurs doivent monter sur les galeries de l’étage pour regarder en silence.
Les fidèles sont tous habillés de blanc avec des petites différences
vestimentaires en fonction de leur ancienneté et rang dans la religion. Les
femmes se placent sur la gauche et les hommes sur la droite. Tout le monde est
en blanc à l’exception du groupe des hommes « sages » qui portent
soit du jaune (en référence au Bouddhisme), du rouge (pour le Confucianisme) ou
du bleu (pour le Taoïsme). Les femmes « sages » sont habillées de
blanc mais sont rehaussées d’une grande capuche. Au centre de la galerie
supérieure, un orchestre composé d’instruments traditionnels donne le rythme à
la célébration faite de méditation et de prosternations.
A quinze kilomètres de Tây Ninh
se dresse la montagne sacrée de Ba Den, haute de 996 mètres . Il s’agit d’un volcan
éteint. Ce lieu de pèlerinage dédié à une divinité khmère attire un très grand
nombre de visiteurs dont beaucoup viennent du Cambodge voisin.
Ambitions
Dans les années 1930, les
fondateurs du Caodaïsme font partie de l’élite vietnamienne proche du pouvoir
colon, la masse des adeptes se recrute dans les classes ouvrières et paysannes
soucieuses de faire partie d’une organisation structurée, forte et solidaire.
La nouvelle église crée des écoles et un système de sécurité sociale. Dans une
Indochine où la société indigène veut se reconstruire, le Caodaïsme se montre
proche du peuple. Les Français observent d’un mauvais œil.
Les ambitions Caodaï n’ont jamais
été très claires. Le pouvoir français est soupçonneux et prend son temps avant
de reconnaître officiellement cette religion (La Fête de l’Avénement du 18
novembre 1926 est souvent vue comme l’agrément de l’autorité coloniale, or
aucun document officiel n’a été signé avant 1934).
L’implantation du Saint-Siège à
Tây Ninh à quelques dizaines de kilomètres du Cambodge cache à peine la volonté
de créer une religion transfrontalière, voir un nouvel Etat.
La proximité de la Montagne de Ba
Den, lieu de pèlerinage khmère n’est pas un hasard. Dès 1926, des missionnaires
vont recruter des nouveaux adeptes au Cambodge où la religion gagne du terrain
malgré l’opposition royale.
La période sanguinaire des Khmer
Rouges va donner un grand coup de frein à l’expansion du Caodaïsme au Cambodge.
L’armée Caodaï
Dès la fin de la deuxième guerre
mondiale, la menace de voir le parti communiste de Ho Chi Minh prendre le
pouvoir au Vietnam pousse les colons français à une alliance avec l’église
caodaïste. Du côté Caodaï, Ho Chi Minh est l’ennemi communiste, il est du même
bord que Mao Zedong qui a combattu l’héritage de Sun Yat-sen (l’ennemi de mon
Saint est mon ennemi).
En janvier 1947, le Caodaïsme se
réclame de plus de 2 millions d’adeptes, la France arme près de 2000 caodaïste,
une armée religieuse a pris forme.
Pour beaucoup de fidèles, la
création d’une branche armée n’est pas en conformité avec la philosophie de la
religion. Le Caodaïsme fait face à un shiisme.
En 1954 la France perd la
bataille de Dien Bien Phu puis signe les accords de Genève. Le Vietnam est
indépendant, mais séparé en deux. Le catholique (et pro-américain) Ngô Dinh
Diên devient président du Sud. Au nord, le communiste Ho Chi Minh ne renonce
pas à réunifier le pays sous sa doctrine.
D’abord opposé au président Diên,
le Caodaïsme est désormais une armée de 25’000 soldats dirigée par le général
Nguyen Thanh Phuong qui contrôle son territoire. En avril 1955, il se rallie
aux forces gouvernementales du Sud-Vietnam du président Diên.
La guerre d’Indochine ne prend
fin qu’en avril 1975 avec la victoire du Nord, communiste. Les religions sont
placées sous un contrôle strict, la guerre est finie mais une période sombre
commence pour beaucoup qui sont forcés à l’exile.
Les Caodaïstes agacent Ho Chi
Minh en affirmant qu’ils suivent une idéologie beaucoup plus proche du peuple,
plus « communiste » que lui. L’église ne sera pas interdite, mais la
liberté de culte restreinte et sous la surveillance constante de l’état.
Religion de révolution
nationaliste
Je me pose une question. Si dans
un premier temps j’ai vu un regroupement d’humanistes dans les Saints et Génies
du Caodaïsme, je me demande si ils n’ont pas plutôt sanctifié ceux qu’ils
voient comme des révolutionnaires dans l’histoire.
Parmi les 3 Saints, Nguyen
Binh Kiem, le Nostradamus vietnamien a vécu au XVIème siècle une des
périodes de guerre civile. Il était le conseiller de ceux qui ont repris le
pouvoir et restauré la Dynastie Lê. Pour certains historiens, il était
l’éminence grise, le réel pouvoir c’était lui qui le détenait.
Sun Yat-sen est
celui qui a fait tomber le dernier empereur de la dynastie Qing en Chine. Il a
crée le Kuo Min Tang (parti nationaliste chinois), placé le général Chang Kaï
Check à sa tête et fondé la première République de Chine (c’est lui le premier
révolutionnaire chinois). Rappelons que le Caodaïsme est né à la fin de l’année
1925, quelques mois après la mort de Sun Yat-sen. Son esprit se serait
rapidement manifesté lors des séances de spiritisme organisées par les
fondateurs de la religion.
Victor Hugo, qui
fut royaliste dans la première partie de sa vie, va devenir défenseur des plus
démunis et politicien républicain. Rejetant les extrêmes, il défend une voie du
milieu qui voudrait que la société se refonde de l’intérieur. « La
construction d’une société égalitaire ne saurait découler que d’une
recomposition de la société libérale elle-même » écrit-il. Victor Hugo, alors
exilé sur l’île de Jersey depuis le coup d’Etat de Louis Napoléon Bonaparte en
France pratiquait le spiritisme. Il y aurait eu la vision qu’il allait devenir
le prophète d’une nouvelle religion.
Pourquoi donc les Caodaïstes
ont-ils choisi des hommes qui ont mené des combats contre l’autorité dans le
désir de réformer la société ?
En 1925, dans l’Indochine
française, la nouvelle classe de lettrés « à la française » veut
affirmer son existence et se créer une identité nationale. Ils suivent par là
l’exemple de Sun Yat-sen en Chine.
« Exacerbée par
l’impossibilité de s’épanouir au sein du régime colonial et déçue dans son
amour propre par l’ostracisme que lui manifestait le Gouvernement Général de
l’Indochine, cette élite n’allait pas tarder à réagir. Son action allait
revêtir toutefois des formes diverses: tentatives révolutionnaires et révoltes
politiques, adhésion à des sociétés secrètes ou à des sectes. » (Pierre
Bernardini, voir bibliographie)
En 1925, les Vietnamiens ont le
sentiment d’un vide religieux: Ils se méfient du Christianisme, religion
du colonisateur. Ils se sentent dispersés dans plusieurs cultes dont les
origines viennent de l’ancien occupant chinois. Beaucoup de Vietnamiens
souhaitent élaborer une religion, une doctrine de foi qui lui soit propre, qui
soit le ciment de cette identité nationale vietnamienne, ils s’orientent par
conséquent vers un syncrétisme religieux.
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